mardi, septembre 19, 2006

Gravol, de Marc Leduc - par Marie-Hélène Cabana

Mon projet: …évoquer l’exposition Gravol de Marc Leduc, Montréal, Galerie Lieu Ouest, 372 Ste-Catherine ouest suite 523 jusqu’au 14 octobre. Je répéterai. C’est un essai:
En prenant la peine d’insérer une lame dans un bout de bois, on finit par attirer un peu l’attention des autres. Peut-être parce qu’il rappelle une volonté de s’inscrire dans un monde plus organique, peut-être parce que l’empâtement et l’accumulation de peinture ne suffisent pas toujours à traduire les influx internes de celui qui fait, ce geste laisse sa profondeur se retourner sur soi et donne envie de poser la main sur les coupures souffrantes, sur le tableau, là où il ne faut pas. Caresser. Apaiser.
J’aurais volé la petite poupée en bois fendue entre les jambes parce qu’elle me rappelait trop de choses. Je l’aurais arrachée du tableau d’où elle sortait de toute façon, comme pour partir. Je l’aurais mise dans ma grosse sacoche qui cache tout et qui rassemble ma vie. Je me serais assise au centre de la pièce avec un café et j’aurais regardé toutes tes œuvres plaquées sur des murs impersonnels. J’aurais performé la patience de regarder toutes les entailles et d’avoir envie de m’y insérer comme si ça pouvait changer quelque chose à ma vie, me cacher un peu. J’aurais eu envie de lire les mots un par un et de percer les jeux et préoccupations ou encore d’absorber l’absence de sens dont les mots sont parfois porteurs. Je les aurais pris comme des couleurs et j’aurais tenté d’oublier que je sais trop bien lire. J’aurais cru toucher une certaine compréhension de la vie, un rapprochement avec l’autre. J’aurais eu l’air †poseuse† et j’aurais aimé ça. Personne ne m’en empêchait finalement. Il y a juste eu comme une urgence de sortir. De respirer l’air plein de pluie. De t’abandonner ou plutôt te quitter pour un moment.
Peut-être que je trouvais juste ça un peu violent et agité et que ça me faisait du bien de voir la violence et l’agitation dans ce que je pourrais nommer mon †amorphitude de jeune femme noire†. être †secouée†. Peut-être que je ne comprends rien à rien non plus et que c’est un geste de tendresse. Peut-être que ça me donnait envie de fuir et de retourner dans la vie au plus vite et que c’est ça qui est intéressant. Peut-être que tu peins pour donner envie de vivre en crachant le glauque. Peut-être pas non plus.
Gravol pour un mal de cœur de je ne sais quoi. Peut-être d’alcool ou peut-être du souvenir de la silhouette qui flotte en transparence dans une de ces images. Peut-être pour oublier le surgissement des mots. Pour barrer la route à ces spasmes primitifs qui protègent la vie en expulsant le mal. Peut-être mon mal de cœur qui rappelle l’odeur de fond de tonne des bars et la lumière qui ne vient jamais tout à fait. Peut-être aussi la maladie qui nous coupe les jambes et rend pittoresques les passages à la salle de bain. Je m’imagine agenouillée. Juste avant l’absorption du cachet. Quand je m’imagine encore que plus rien n’entrera jamais dans mon corps pour y rester.
Tu utilises des teintes sombres dont on sait pas trop si l’obscurité est là ou juste mise en scène pour éviter d’emplir celui qui l’utilise. Gravol, †gravelle†. Il y a la terre aussi qui rappelle qu’on se râpe parfois la face sur le sol. Qu’on aurait envie de se couvrir de boue pour finir l’avilissement ou seulement le montrer à l’extérieur comme on le sent en dedans. C’est peut-être mÍme la merde que tu cherches à montrer, mais je ne laisserai pas ma tête aller là pour aujourd’hui. J’aime l’aspect iconique des petites toiles. J’aime penser à la patience nécessaire pour accomplir. Graver, s’imposer dans la matière. Peindre; cacher quelque chose tout en révélant autre chose.
Peut-être qu’en remplissant tellement l’espace tu cherches juste à nous éviter de chercher. Tu fais juste mettre à jour un débordement qui nous coule un peu tous au coin des lèvres. Mais normalement Gravol apaise tout. Gravol ne m’a pas rendue somnolente cette fois. Gravol sent l’envie de vomir bien sûr, mais aussi un état d’apesanteur entre le bien-être et le regret d’avoir dépassé les règles et limites d’utilisation du corps et de l’esprit qui deviennent engourdis. Gravol implique l’attente et la patience. Il peut aussi les états imprévisibles si pris trop tôt dans le processus de l’alcool ou pris en trop grande quantité. Mais Gravol ne guérit pas seulement. Il ravage le corps pour quelques temps. On n’oublie pas si facilement les états autres…
Il y a seulement quelques jours et je commence à oublier. Pas parce que ça ne me plaît pas. Simplement parce que l’ensemble s’échappe tranquillement dans les jours et est recouvert par toutes les nouvelles données qui attaquent mes yeux qui ne se ferment plus très souvent. Je me rappelle surtout des gestes liés à la production qu’il me semblait nécessaire d’imaginer en regardant le produit fini. Je me rappelle certains bouts d’œuvres qui viennent se plaquer sur l’écran au fond de ma tête et m’accompagnent tout le jour. J’aurai porté tes images dans les rues, comme une présence intériorisée.

Voilà. Juste t’avouer encore une fois: Gravol, Marc Leduc, Montréal, Galerie Lieu Ouest, 372 Ste-Catherine ouest suite 523 jusqu’au 14 octobre.